Chanson pour enfants : Spectacle Anibal
Qu'est-ce qu'un bon spectacle de chanson pour enfants ?
- Celui qui les enchante ?
- Celui qui ravit les parents ?
- Celui qui satisfait le programmateur ?
... En attendant d'entrer en scène j'écoute Sylvie Bourdillon, nouvelle responsable du festival jeune public de Saint-Jean-sur-Mer, me faire part de ses interrogations.
- J'avoue être un peu perdue, me dit-elle, j'ai accueilli cet été une dizaine de spectacles et je m'aperçois que choisir un spectacle pour enfants n'est vraiment pas simple.
Je comprends ses doutes et je suis heureux de rencontrer une femme aussi charmante qu'intelligente. A peine débarquée dans ce petit monde à part, elle se pose déjà les questions essentielles. Sa conscience professionnelle lui servira d'atout pour faire son travail, avec passion et intégrité. Elle est un exemple pour sa profession et possède une longueur d'avance sur tous ceux qui depuis des décennies pensent détenir la réponse et qui se trompent.
J'entre en scène, mon nouveau spectacle Drôle d'Anibal va durer une heure, je me dois d'être à la hauteur, ce n'est pas tous les jours que l'on a la chance de faire une telle rencontre. Bien sûr je chanterai comme d'habitude, tout d'abord pour embarquer les enfants le plus loin possible dans mon univers, mais cette fois avec un peu de pression supplémentaire. Je m'en voudrais tellement de décevoir une personne si dévouée...
Pas de danger qu'on me prenne pour un mouton
Avec ma casquette à l'envers pas de confusion
J'prendrai pas le métro pour aller brouter
L'herbe d'un pré qui de toutes façons est nitraté
Moi j'ai choisi un job carrément futile
Jean Pierre, Antoine et Jacquot (*) diraient inutile
j'amuse les enfants, je fais tourner des vinyles...
(*) Jean-Pierre Rafarin, Ernest-Antoine Seillière, Jacques Chirac - cf : réforme de l'intermittence.
Chanson pour enfants : école primaire
Enfance
Paris, début des années 70, je devais avoir 9 ou 10 ans à l'école primaire de la rue Wurtz, on répétait quelques pitreries écrites par la maîtresse en prévision de la fête de fin d'année... seul hic, entre deux scènes il n'y avait pas assez de temps pour que trois ou quatre apprentis comédiens changent de costume.
A l'époque j'avais déjà le sens de l'initiative et de la chansonnette, j'ai alors proposé à ma maîtresse un petit interlude où j'y chanterais a capella un truc que je connaissais. Je ne sais plus ce que c'était, probablement un tube à la noix qui passait à la radio. Il faut préciser qu'en ces temps héroïques, pour un gamin élevé par André Verchuren et Yvette Horner, l'offre musicale était assez restreinte. A moins d'avoir un grand-frère au collège qui pouvait introduire jusqu'au salon, des disques des Beatles, des Stones ou de Led zep, ce qui n'était pas mon cas.
Bon nombre de programmateurs culturels doivent aussi être les aînés de leur famille, j'y reviendrai dans quelques instants.
Les copains ont éclaté de rire en me traitant de cinglé. Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi en France quand un gamin veut chanter devant des gens c'est la honte alors que dans d'autres pays, sur d'autres continents il n'y a rien de plus normal ? La faute à qui ? Un peu de patience, j'y reviendrai dans quelques instants.
Je l'ai quand même fait... tout seul devant 200 papas et mamans attendris, j'ai commencé ma prestation. Tout a très bien commencé, puis tout à coup j'ai oublié le texte. le trou noir total. Je revois encore tous ces visages qui semblaient me dire : bon, et la suite ?
Alors je me suis mis à pleurer, tétanisé devant ce parterre qui applaudissait à tout rompre, ce fut ma première émotion scénique.
Adolescence
Un peu plus tard j'ai été initié aux joies du théâtre par un certain Raymond Laubreaux, prof de Français et homme de lettres respectable. C'est probablement un des meilleurs souvenirs que j'ai de l'enseignement secondaire (il y avait aussi les maths et les filles qui me plaisaient bien).
Entre temps mon cousin m'avait donné une guitare et il faut bien admettre qu'il est difficile d'être assidu dans tous domaines, il faut faire des choix. Pour faire court, j'ai été viré du lycée.
A la porte du lycée Rodin (j'ai fait partie du péril jeune, Santiago Amigorena était un de mes meilleurs potes...), de chez mes parents (entendre 50 fois par jour un ado massacrer le solo de Stairway to Heaven sur un ampli vox AC30 en appartement, ça use) et du service militaire (là, je l'ai un peu fait exprès, lire et/ou écouter : Penséé pour mon adjudant) il a fallu que je me mette à gagner ma vie. Quand je citerai Marks et Spencer quelques années plus tard dans La salsa des sales gosses, ça fera marrer tout le monde, pas moi. A cette période j'ai vraiment compris ce que Jean-Paul Sartre avait voulu dire à propos de l'enfer...
Mes maigres revenus me permettaient tout de même de me rendre au conservatoire du XIII ème arrondissement pour apprendre le solfège et occasionnellement de m'offrir quelques cours de guitare ou de théâtre. Dans le même temps je retrouvais quelques potes plusieurs soirs par semaine dans une baraque d'Ivry sur Seine et on faisait cracher les watts jusqu'à ce que la femme du bassiste se relève à trois heures du matin pour aller couper... le compteur électrique!
Comme beaucoup de groupes rock, nous avions un autre souci, le chanteur n'était pas très bon. Il fut alors décidé de le remercier et de trouver la perle qui nous permettrait de devenir les rock n' roll stars de demain...
Attache bien ta ceinture
Mais non, pas celle de ton pantalon
Je veux parler de ta voiture
Pour une fois la police a raison
Chanson pour enfants : chanson, rock et théâtre
Oui mais voilà, tout comme je l'ai dit un peu plus haut, rares dans nos contrées sont les gamins qui connaissent l'euphorie que peut provoquer la vibration d'une corde vocale. J'ai donc été désigné comme la seule alternative possible pour que le groupe puisse continuer sa route vers la gloire. Mauvais choix : en première partie du groupe The dogs j'ai encore oublié mon texte et l'histoire des rockers en herbe s'est arrêtée là!
Pas question pour autant d'abandonner la partie. Je me suis alors mis en tête de tenter ma chance en solo dans un des derniers cabarets de chansonniers parisiens : Chez Georges. Curieuse reconversion pour l'amateur de décibels que j'avais été, dans ce petit lieu on devait interpréter des paroles originales, accompagné d'une guitare sèche et tenter d'intéresser un auditoire critique. En fait la gageure me bottait bien car entre deux vinyles de AC/DC ou du J.Geils Band, je décortiquais régulièrement les textes de Georges Brassens, Boris Vian, Renaud ou Plume Latraverse.
Je me suis mis à gribouiller mes premières histoires présentant à peu près autant d'intérêt que l'élection de Miss France ou un discours de Jean-Marie Le Pen, mais tout fier j'allais les chantonner dans ce lieu mythique, empochant les soirs où le patron n'avait trouvé personne d'autre, 50 francs qui me permettaient de survivre et surtout de continuer à rêver.
Un soir, l'animateur d'une radio à vocation culturelle est venu m'interroger sur la scène devant la salle pleine à craquer (on faisait le plein avec 35 spectateurs):
- Pensez-vous que n'importe qui puisse monter sur une scène pour y chanter n'importe quoi?
Nouvelle baffe cinglante qui aurait pu décourager à jamais le gamin que j'étais encore, mais l'imbécile sans le vouloir m'a donné un coup de fouet salutaire...
Orsel
Le lendemain de cette fâcheuse mésaventure, mort de honte j'ai décidé de ne plus retourner chez Georges et comme j'avais trouvé un nouveau job d'animateur dans un centre de loisirs maternels qui me laissait pas mal de temps libre, j'ai travaillé autant que possible dans mon insalubre huit mètres carrés pour enfin réussir à composer quelques trucs dignes d'intérêt (en tout cas, j'avais l'impression que les gens pour la première fois pouvaient m'écouter pendant plus de 3 minutes sans bailler).
J'ai adoré ce boulot d'animateur. Au milieu de tous ces bambins j'étais dans mon élément. C'est à ce moment que je me suis intéressé à la chanson pour enfants. Au fond des placards du centre de la rue d'Orsel dormaient les disques de Steve Waring, ce fut pour moi une véritable révélation. Je les ai tous copiés sur cassettes afin de les disséquer le soir chez moi tranquillement (désolé Steve, mais le mp3 n'existait pas à l'époque :-). En toute logique je me suis mis à écrire mes premières chansons pour enfants à l'intention des plus petits, que j'entonnais pendant la récré, au goûter et même à la cantine à la fin d'un repas, je trouvais ça grisant de parvenir à calmer 50 mômes en furie juste avec quelques notes et quelques mots. Sans le savoir, je venais de trouver ma vocation.
Petite parenthèse à l'attention de Mariette : désolé de ne pas avoir succombé à tes avances, tes yeux étaient superbes mais pas autant que ceux de ta fille, la plus jolie d'entre toutes...
Les maisons de New York
Montent dans les nuages
Elles grattent le ciel
Au soixantième étage
Oh que c'est haut New York
Chanson pour enfants : chanson, marionnettes et presse à paris
Le hasard fait parfois bien les choses, quelques temps plus tard j'ai fait la rencontre d'un autre animateur avec qui nous avons décidé de monter une comédie, mélangeant musique théâtre et marionnettes. Elle serait évidemment adressée au jeune public et 100% rock n' roll.
Au bout d'un an de travail acharné (par chance l'autre était aussi bosseur et passionné que moi) le spectacle écrit et répété il nous a fallu trouver un lieu de diffusion. Nous avons choisi le Théâtre de Dix Heures, qui se trouvait à proximité du centre de loisirs où je travaillais.
Vu que nous étions totalement inconnus, la difficulté était à présent de faire venir le public dans cette petite salle du quartier de Pigalle. Bien que je risque de faire grincer des dents un paquet de gens de la profession, je ne résiste pas à l'envie de vous raconter comment nous avons fait salle comble tous les jours de notre engagement:
Une journaliste vénérée par les enseignants et professionnels du spectacle jeune public faisait la pluie et le beau temps écrivant des articles sur la culture enfantine dans un journal TV lu par des milliers de lecteurs, c'est elle qu'il fallait convaincre de rédiger un papier pour arriver à nos fins. Prenant ma plus belle plume et me faisant passer pour un conseiller pédagogique, j'envoie un courrier à la dame : "Comment est-il possible que vous n'ayez jamais parlé de ces incroyables artistes qui enchantent les foules depuis plusieurs années, vous devriez aller les voir..." La journaliste que je ne bichonne pas (comprend qui peut...) ne s'est même pas déplacée, mais a livré à tout Paris un joli petit papier... Je n'en attendais pas tant. Critique, c'est un boulot peinard quand même!
Si le spectacle avait été mauvais, je pense que malgré ce magnifique coup de pub, nous n'aurions pas été bien loin. Heureusement, à la différence de mes expériences antérieures, cette fois-ci le public a le sourire, les programmateurs épatés devant nos performances pleines de fougue et de fraîcheur, se battent pour nous faire venir dans leur salle. Il faut tout de même préciser qu'ils n'ont pas à casser leur tirelire pour nous avoir, nous, tout ce qu'on veut c'est jouer! Ce n'est pas encore la gloire mais les contrats se faisant un peu plus nombreux, je dois, non sans un petit pincement au cœur, mettre un terme à mon boulot d'animateur.
Tout innocent que je suis, je me dis qu'il est de mon devoir de remercier - non pas le ciel à qui je ne dois strictement rien - mais ceux qui ont eu une influence sur ma nouvelle heureuse destinée. En achetant un bouquin (Paradoxe sur le comédien, il me semble) je revois l'un d'entre eux ressurgir à la surface: mon ancien prof de français et de théâtre en fait la préface. Aussitôt je décide de lui envoyer une invitation pour qu'il puisse assister à l'une des représentations que nous devons donner au Théâtre des Sources de Fontenay aux Roses. Sa réponse sera aussi diplomate que blessante : "Cher Bruno... je suis heureux d'apprendre que tu aies poursuivi ton chemin dans une voie qui ne m'est pas totalement indifférente, mais je ne pourrai être présent..." Si j'avais joué Shakespeare au Théâtre des Champs-Élysées, je suis persuadé qu'il serait venu me saluer dans ma loge, une bouteille de champagne dans chaque main, mais je ne jouais qu'une comédie musicale, qui plus est, pour enfants. La culture en France (ailleurs je ne sais pas) a ses limites...
Je peux me fâcher tout rouge pour mettre du piment
A la mélodie que je compose
Je vois déjà ma grand-mère hisser le drapeau blanc
Elle préfère la vie en rose
Vilain nuage passe ton chemin
Les gens n'aiment pas tes reflets tout gris
Je veux leur offrir un joli dessin
Pas un horrible gribouillis
Chanson pour enfants : Jeunesses musicales de France ( jmf )
La boîte à rythme
Planqué sous la couette, j'entends le type qui relève les compteurs EDF frapper à ma porte, je ne réponds pas, j'enverrai demain les numéros qui m'arrangent, aujourd'hui je n'ai pas de quoi payer ce que j'ai réellement consommé.
Sur le point de fêter mon premier quart de siècle, je suis encore sans le sou. Le sacro-saint statut d'intermittent du spectacle me tirerait d'affaire, mais au milieu des années 80 pour ouvrir un dossier il faut réunir plus de 100 cachets à l'année... Certaines boîtes de productions connaissant bien ce système pervers ont parfaitement compris comment s'y prendre pour exploiter les artistes vivant dans la précarité.
Une célèbre association que les musiciens surnomment depuis longtemps Je Meurs de Faim, va s'intéresser à notre spectacle et nous proposer d'engranger quelques 60 cachets en moins de trois mois. La possibilité de vivre dignement de notre travail se profile à l'horizon, oui mais...
Résumé d'une convocation en urgence au siège de cette association :
- Je suis désolée Bruno, mais nous allons devoir ré-étudier le contrat que nous avons signé ensemble, il nous arrangerait que vous alliez à Lorient le lendemain de votre concert à Besançon...
- C'est impossible, la distance ne nous permettrait même pas de dormir, vous vous êtes engagés à ne pas nous faire parcourir plus de 500 km entre deux concerts, de plus cette journée devait être "off" et nous avons pris un engagement ailleurs.
- Il va falloir vous rapprocher de votre organisateur et lui dire que vous ne pouvez honorer cet engagement, dans le cas contraire nous annulons votre tournée, vous perdez vos 60 cachets et adieu à vos statuts d'intermittents.
J'ai toujours méprisé les hommes ou femmes pour qui l'argent est une priorité et qui abusent de leur pouvoir pour s'enrichir sans aucun état d'âme. Mon caractère un tantinet rebelle (peut-être l'auriez vous déjà compris) ne m'a jamais autorisé une seule concession avec ce genre de vautours. Ca tombait bien mes collègues pensaient comme moi, nous nous sommes levés comme un seul homme et avons juste dit ensemble avant de tourner les talons : alors, au revoir!
La tournée fut tout de même maintenue, j'ai pu par la suite m'offrir une confortable maison en Bretagne sans pour autant avoir vendu mon âme au diable et j'en éprouve une certaine fierté.
L'aventure aux côtés de La boîte à rythme (c'est comme ça que s'appelait notre petite troupe) a duré près de 10 ans. Nous avons donné environ 1000 concerts, avons foulé les planches de l'Olympia, avons rempli le théâtre du Tintamarre pendant 2 ans et avons fait le bonheur des négociants en bordeaux millésimés de chaque ville où nous nous sommes arrêtés. Seul regret, avec les centaines de milliers de kilomètres parcourus nous avons participé à l'enrichissement de Total/Fina et autres trusts pétroliers.
Ma voiture est mal garée devant le supermarché
Les mamans avec leurs poussettes ne peuvent pas passer
Je fais mes courses, je prends mon temps, je ne suis pas pressé
Mais je double tout le monde au moment de payer
Chanson pour enfants : Chanson et théâtre en Bretagne
Solo
Au milieu des années 90, j'ai quitté Paris pour m'installer à Dinard. C'est là que j'ai écrit mon premier spectacle jeune public en solo. Me retrouvant tout seul sans mes anciens acolytes je n'avais qu'une trouille, ne pas être à la hauteur et ennuyer mon jeune auditoire. Heureusement ce one man show fut un succès, je crois avoir donné 35 représentations rien que pendant le seul mois de décembre. Du coup, très vite j'ai décidé de donner du volume à cette création en engageant 3 musiciens de très haut niveau pour remplacer le vieux Revox qui m'accompagnait jusqu'alors et me suis mis en tête d'élargir mon réseau de connaissances professionnelles, en proposant aux programmateurs culturels de ma nouvelle région un authentique concert rock jeune public de qualité. Je savais que le mur de Berlin était tombé récemment, mais je n'avais jamais été informé de sa reconstruction ici même!
L'expérience m'a tout de même donné l'occasion de rigoler un peu : Je me souviens d'une soi-disant cultureuse de Saint-Malo, qui fait plus dans le chocolat que dans le théâtre, ayant refusé de mettre mon spectacle à son affiche sous prétexte que: "Désolée, je ne programme pas de spectacle de variété".
Sans vouloir me prendre pour Manu Chao ou Bertrand Cantat, entendre de la bouche de quelqu'un qui fait dans la culture, que ma musique puisse être associée à celle de Gérard Lenorman ou Mireille Mathieu, est un brin vexant. Allez, j'excuse la pauvre dame qui a probablement été l'aînée de sa famille, ou alors fille unique (voir plus haut).
Et maintenant juste une question :
- La culture jeune public se limite-t-elle au théâtre, à la danse et aux ombres chinoises?
La réponse est terrible : Les programmateurs au pays du biniou ont une vision étroite de la culture et comptent comme Malraux, la musique (sans biniou) pour moins que zéro, cf. Brassens "Entre la rue Didot et la rue de Vanves".
Molière, Voltaire, Rembrandt, ça c'est du solide!
Alors entre gens érudits on se regroupe, on construit un solide réseau pour lutter contre les produits "non culturels". Ne soyez pas dupes, il s'agit encore d'intérêts personnels. Les plus rusés usent de leur influence pour imposer un catalogue savamment réalisé qui leur permettra d'encaisser quelques confortables pourcentages, et en profiteront pour placer leur petit dernier tout juste sorti de l'école. La mafia existe aussi dans ce secteur et a toujours su s'organiser.
Mais alors, me direz-vous, quels sont ces extra-terrestres qui ont proposé à leurs chères têtes blondes un concert rock - produit contre culture s'il en est - et qui ont outrepassé l'autorité d'Al Capone et ses frères ?
Les autres ! Car heureusement ils existent. Privés de subventions et malgré des moyens souvent ridicules mis à leur disposition, ils se débattent comme une moule dans le varech pour obtenir un quelconque tuyau sur le petit groupe qui vient de leur envoyer une plaquette publicitaire, imprimée avec les moyens du bord. Oh bien sûr, il commettent quelques maladresses dans leur programmation mais quand les bouts de choux ont les oreilles et les yeux écarquillés dans la petite salle obscure, ils en verseraient presque une petite larme. Rendons leur hommage, sans eux il n'y aurait plus de chanteurs pour enfants depuis belle lurette.
Et maintenant une autre question :
- Le rôle du programmateur culturel n'est-il pas aussi d'aider les artistes de sa région ?
Il le fait! Il est dans la rue aux côtés des manifestants chaque fois qu'un gouvernement décide de toucher au régime d'assurance chômage des intermittents du spectacle... à chacun sa façon d'aider son prochain !
Je me suis installé juste en face de l'école
Pour vendre mes tic-tacs mes sucettes et mes chewing-gums
Je sais bien qu'ils abîment leurs petites dents
Oh oui mais moi je m'en fous, ce ne sont pas mes enfants
Chanson pour enfants : Culture radio et télévision
Monsieur Soleil
- Allô, Bruno Coupé ? Bonjour, je m'appelle Jean-Pierre Bouculat, producteur d'Henri Dès et je suis à la recherche de nouveaux artistes pour un projet en collaboration avec Universal Music. J'ai écouté ton dernier album et je souhaiterais te rencontrer..."
Ce qui est extraordinaire dans ce métier, ce sont les surprises auxquelles tu ne t'attends pas. Alors que tu es à deux doigts de jeter l'éponge, il se passe un truc inespéré et tu te remets à rêver. Même si cela ne dure qu'un moment, c'est déjà ça!
Monsieur soleil est mon cinquième disque. Rien d'étonnant que le serial producer ait attendu jusque là pour me faire entrer dans son écurie, avec cet album je suis passé à la vitesse supérieure: Les musiques sont plus abouties, je me suis offert le personnel et le matériel pour l'enregistrer convenablement; mais surtout, j'ai acquis une certaine maturité dans le maniement des textes.
En France quand une nouveauté entre dans le circuit de la grande distribution et présente un minimum d'intérêt, l'artiste est généralement invité dans des festivals ou show-cases, les programmateurs et tourneurs se renseignent sur les performances scéniques du groupe, sur ses prétentions financières...
Nouvelle désillusion, le petit monde de la chanson pour enfants ne fonctionne pas de la même manière. Votre adjoint culturel se fout éperdument de savoir qu'il pourrait proposer aux enfants de sa commune un nouveau truc sympa à découvrir. Il est trop souvent préoccupé de savoir si il sera réélu au prochain conseil municipal, afin de préserver les émoluments qu'il perçoit depuis des années, en prenant le moins de risques possibles.
A sa décharge (faut-il que je sois gentil !) il est indéniable que les médias ont une bonne part de responsabilité. Rares sont les radios qui informent leurs auditeurs que tel ou tel chanteur pour enfants vient de sortir un nouveau CD, ne parlons pas de la télé qui ne fonctionne exclusivement qu'en terme d'audience, donc de bénéfices, et la chanson pour enfants n'offre guère de perspectives juteuses. Reste la presse écrite (certes timide dans ce domaine) encore faut-il savoir lire.
Il y a évidemment d'autres moyens d'aller à la pêche aux informations mais le marin-pêcheur doit se lever de bonne heure. C'est pour cette raison que tout le monde n'aime pas la pêche...
Le spectacle issu de l'album s'est passé de tous ces braves terriens, s'est joué plus de 300 fois à travers la France, est parti en tournée près d'un mois au Liban... Je n'aime pas la pêche mais moi, je me lève à six heures chaque matin.
Il travaille dur toute une journée, il ne faut surtout rien oublier
Mais se repose le reste de l'année, il fait un bien beau métier
Personne ne sait où il habite, il veut rester caché
Pour éviter les journalistes, Monsieur le Maire et le curé
Et bien alors, qui est-ce?
Réponse : c'est le Père Noël.
Chanson pour enfants : Rock ici mômes dans la Sarthe (Rockyssimomes - Sablé sur Sarthe)
Festival
On me demande souvent si ce n'est pas trop dur de jouer devant une petite centaine d'enfants sagement assis dans la salle des fêtes de Nœux-les-Mines, alors que la veille on faisait un gigantesque festival devant 5000 personnes.
La réponse est invariablement : non ! Je préfère mille fois me retrouver face à une poignée de petits spectateurs attentifs et heureux, plutôt qu'affronter des hordes de centres de loisirs que l'on a traîné de force jusque devant la scène et qui auraient largement préféré aller piquer une tête dans la piscine.
Dans la Sarthe, en été, il fait chaud. Le haut-parleur le rappelle régulièrement : "n'oubliez pas d'hydrater vos enfants, des points d'eau sont à votre disposition." Les premiers arrivés prennent d'assaut les meilleures places, tout au fond sous les arbres, ils ne verront pas grand chose du concert mais c'est franchement loin d'être le plus important.
La directrice culturelle de Nœux-les-Mines met un point d'honneur à ne jamais reprendre deux fois de suite le même artiste. Elle sait que son rôle est avant tout d'établir une sérieuse programmation différente chaque année, son devoir est d'élargir au maximum le champ culturel des enfants qu'elle chouchoute.
Dans la fournaise de ce festival bien connu, les motivations ne sont pas les mêmes. Le groupe qui se produit en ce moment était déjà là l'an passé, l'année précédente aussi... Tous les élus défilent un à un derrière la grande scène et s'assurent que les caisses sont un peu plus remplies que lors de la précédente édition. Bien entendu ils sont escortés par un photographe qui ne doit surtout pas manquer une seule poignée de mains.
Loin du champagne et des petits fours, à l'autre bout du parc, deux musiciens font de leur mieux pour distraire les plus jeunes, assommés par la chaleur. Le podium a la taille d'un timbre poste. En jouant ils tentent d'oublier la sale nuit qu'ils ont passé dans l'hôtel 0 étoile, réveillés à quatre heures du mat par le chien du patron (probablement le cousin ou le beau-frère du directeur du festival, je veux parler du chien bien entendu). Ce n'est pas non plus très simple de frapper les peaux détendues de la batterie, trempées par l'averse matinale. On leur avait aussi promis une scène bâchée mais les choix budgétaires votés à l'unanimité se sont finalement orientés vers une communication onéreuse. Pendant le concert, le technicien à la sono en profite pour faire sa sieste, décidément il fait vraiment trop chaud...
Les centaines de cars repartent à la douceur de cette fin de journée, dans les coulisses Monsieur le député fait son discours: "Je tiens à remercier tous les artistes, techniciens et bénévoles qui ont contribué comme chaque année à la réussite de ce magnifique festival..."
A la fin de l'été des messieurs sont venus
Ils ont dit que le manège ne reviendrait plus
A sa place il y aura quelques appartements
Pour loger les touristes qui ont de l'argent
Alors l'année prochaine moi j'irai plus loin
Voir si dans d'autres villes on se soucie des gamins
Chanson pour enfants : fin du spectacle
Rideau
Anibal est revenu faire un dernier tour de piste puis le rideau est tombé. Le spectacle est terminé, le petit théâtre de verdure se vide gentiment, il est temps à présent de ranger le matériel. Sylvie Bourdillon s'approche et me touche en plein cœur:
- Aujourd'hui j'ai enfin la réponse à ma question. Je sais maintenant qu'un bon spectacle pour enfants c'est celui qui donne du bonheur aux enfants, celui qui donne aux parents envie de revenir avec eux et celui que je suis fière d'avoir programmé.
Cette petite conclusion peut paraître prétentieuse de ma part, elle n'est effectivement pas exempte d'une certaine vanité, mais quand on a choisi de monter sur scène, c'est avant tout pour plaire. Et quand on y parvient, on se dit que l'on exerce un bien beau métier.
Malgré tout, après bientôt 30 ans de tournées, même si les rires innocents des enfants m'ont toujours procuré beaucoup de plaisir, les difficultés de ce métier marginal ont fini par avoir raison de mon énergie. J'ai pris la décision de mettre un terme à ma carrière de chanteur au cours de l'été 2014 et j'ai orienté la majeure partie de mon activité vers la communication Internet, à commencer par l'aide aux artistes pour enfants avec la plate-forme: l 'Annuaire du spectacle pour enfants.
Bref, de nouveaux projets tous aussi excitants les uns que les autres...
Bruno Coupé
A propos de Sylvie Bourdillon - Saint-Jean-sur-Mer
Pour des raisons professionnelles, la véritable programmatrice a souhaité ne pas être citée dans cet article. Par respect pour elle, j'ai remplacé son nom et celui de sa ville par ce pseudo.